Décret de la Confédération des Ainianes pour des juges étrangers

 

L'inscription que je vous propose aujourd'hui est un décret honorifique de la Confédération des Ainianes pour des juges étrangers venus régler des différends entre citoyens d'Hypata à l'époque Romaine. La pratique des juges étrangers s'est développée au IIe siècle après J.-C., alors que la Grèce était devenue une province Romaine. La Confédération des Ainianes, qui avait été absorbée par la Confédération Étolienne est remise en place par Rome, qui assure ainsi un contrôle discret sur la politique locale.

 

L'édition de l'inscription

 

J'ignore malheureusement où se trouve la pierre aujourd'hui. Visiblement, il n'en reste qu'un fragment laissant apparaître les deux dernières lignes (voir sur ce point mon article "Ypati, ville martyre").

 

Depuis 1891, cette inscription a été rééditée à plusieurs reprises (cinq fois à ma connaissance) :

  • Première édition de l'inscription (23 lignes) :

Jamot Paul, Deschamps Gaston. Inscriptions de la Grèce du Nord. In: Bulletin de correspondance hellénique. Volume 15, 1891. pp. 331-334.

  • Deuxième édition (23 lignes) :

Inscriptiones Graecae, IX,2. Inscriptiones Thessaliae, ed. Otto Kern. Berlin 1908. IG IX,2 8.

  • Troisième édition (23 lignes) :

Robert Louis. Notes d'épigraphie hellénistique. In: Bulletin de correspondance hellénique. Volume 49, 1925. pp. 221-227.

L. Robert critique l'édition d'O. Kern et revient à la première édition en apportant quelques corrections.

  • Quatrième édition (?) :

La Thessalie. Quinze années de recherches archéologiques 1975-1990. Bilans et perspectives. Lyon 1990, TAPA, Athènes (1994), 2 vol., pp. 241-243.

Je n'ai pas pu me procurer cette ouvrage et ignore donc le contenu de l'article de Kontogiannis.

  • Cinquième édition (2 lignes) :

Supplementum Epigraphicum Graecum. Vols. 42-44, eds. Henry W. Pleket, Ronald S. Stroud and Johan H.M. Strubbe. Amsterdam 1995-1997. SEG 44:459.

 

Le texte que je présente ici est une version personnelle que j'ai établie à partir de la reproduction visuelle du texte vu sur la pierre, que l'on peut trouver dans l'article de P. Jamot et G. Deschamps (voir l'image ci-dessous). Pour les parties manquantes, j'ai suivi les propositions des trois articles selon ce qui me semblait plausible au vu de la taille des vides, et en rapprochant cette inscriptions d'autres de même nature (IG IX,2 69 ; Gonnoi II, 91).

 

 

Voici le texte que je propose (les restitutions hypothétiques aparaissent entre crochets) :

 

[-------------------------------------------------------------------------------]

[-----------------------------] ν [---------------------------------------------]

[---------------------------]υτεο[-------------------------------------------]

[-----------------------]ου, Νίκα[------------------------------------------]

[--------------- Με]λανθίου, Ἰσκο [-----------------------------------]

[-- ἀποσταλ]έντες ὑπο τᾶς [πόλιος τῶν ---------- δικασ-]

[ταὶ ἐπι τ]ὰς δίκας τὰς κατὰ [-------------------------------- τάν]

[ἀναστρ]οφὰν [καὶ] τὰν ἐπιδα[μίαν ἐποιήσαντο, ὡς ἐπέ]

[βαλλεν τ]οῖς καλοῖς καὶ ἀγαθοῖς ἀ[νδράσιν, τοὺς ἔχον]-

[τας πράγμ]ατα, τοὺς μὲv πλείστους συν[έλυσαν φιλο]-

[τιμίας] οὐθὲν ἐλλείποντες, τὰς δὲ καὶ [λοιπὰς δίκας]

[τὰς ἐνε]χθείσας ἐν αὐτοὺς διέκριναν [ἀπὸ παντὸς τοῦ]

[δι]καιοτάτου, ἀξίως αὐτοσαυτῶν τε̣ [καὶ τῶν ἀποστει]-

[λά]ντων καὶ ἁμῶν καὶ τᾶς ἐνχειρισ[θείσας πίστιος.]

[Ἔδ]οξε τοῖς Αἰνιάνοις δεδόσθαι α̣[ὐτοῖς καὶ τοῖς ἐγ]-

[γ]όνοις αὐτῶν προξενίαν τε καὶ πο[λιτείαν ἀπὸ τῶν]

[Αἰ]νιάνων, καὶ γᾶς ἔγκτησιν καὶ [οἰκίας ἐν τᾶι Αἰνίδι,]

[κ]αὶ ὑπάρχειν αὐτοῖς καὶ τοῖς ἐγ[γόνοις αὐτῶν ἀσ]-

[φα]λειαν καὶ πολέμου καὶ εἰράνας, τὰ [ἀπ' Αἰνιάνων]

[διὰ] παντὸς καὶ τὰ λοιπὰ τίμια ὅσα [καὶ τοῖς ἄλλοις]

[προ]ξένοις καὶ εὐεργέταις τοῦ κοινοῦ [τῶν Αἰνιά]-

[νων] δίδοται. Ἔγγυοι τᾶς προξενίας κα[τὰ τὸν νόμον]

[-------]ντων Πολεμάρχος, [Ἀγ]ίας Τολμαίο[ς, ---------------]

[--------]α, Φαινέ̣ας Νικέα, Δαμόφαντος Φι [------------------]

 

Traduction française (personnelle)

 

Sous l'archontat de (noms des cinq Ainiarques), attendu que (noms des juges étrangers, l'un étant fils de Melanthios ?), ayant été envoyés par la cité des (…), en vue des procès qui opposaient (les citoyens), ont fait l'aller-retour et le séjour ici, se comportant ainsi en hommes de bien ; ceux qui avaient des désaccords, ils les ont réconciliés pour la plupart, sans jamais manquer d'honneur, et les procés restants qui avaient été intentés, ils les ont jugé au plus juste, se rendant digne d'eux-mêmes, de ceux qui les avaient envoyés, de nous et de la confiance qu'on leur avait accordée. Les Ainianes ont jugé bon de leur donner, à eux et à leurs descendants, le statut d'hôte public (proxenos), le droit de cité de la part des Ainianes, la possession d'une terre et d'une maison en Ainis, et de leur accorder l'asile, à eux et à leurs descendants, en temps de guerre comme en temps de paix, ainsi que les autres honneurs habituellement accordés aux autres hôtes publics et bienfaiteurs de la Confédération des Ainianes. Garants de l'accord du statut d'hôte public selon la loi : (…) Polémarchos, Agias Tolmaios, (…), Phainéas Nikéa, Damophantos Phi(...).

 

datation du décret

 

Otto Kern date ce décret de 130 av. J.-C.. Mais Louis Robert propose une date proche de 175 av. J.-C.. Les juges étranger seraient venus régler les différents qui opposaient les citoyens d'Hypata en proie à une guerre civile (voir mon article « Eupolemos vs Proxenos »). L'hypothèse contredit la seule source que nous avons sur cet événement, à savoir le texte de Tite-Live, qui raconte que la cité en détresse aurait fait appel à des juges romains et non grecs … En même temps, l'un n'exclut pas l'autre : les procès ont pu se faire en deux temps, d'abord par des juges grecs, puis, la gravité de la situation nécessita un appel au sénat Romain, comme nous le raconte Tite-Live … à moins qu'il ne s'agisse du contraire !

 

Voyons si les noms cités peuvent nous aider à en savoir plus.

 

A propos du fils de Mélanthios, on connait deux inscriptions de 191 (ArchEph (1917) 1,301) et 190 av. J.-C. (ArchEph (1917) 10,304), mentionnant un certain Ἀντίσκ[ω]ν[α] [Μελ]ανθίου envoyé comme ambassadeur à Olosson par la cité de Chyretiai (actuelle Domeniko) sur le territoire des Perrhèbes, soit à quand même à plus de 130 km d'Hypata …

 

Des cinq garants cités, seul Phainéas Nikéa est connu par une autre inscription (Syll.³ 636). Il était hieromnemon (membre du Conseil Amphictionique, organe supérieur du sanctuaire de Delphes) pour les Hérakléiens en 178 av. J.-C. Originaire de la cité de Sosthenis, on connait un autre membre de sa famille, Polemarchos fils de Nikeas, stratège des Etoliens en 168/7 av. J.-C (IG IX,1² 1:71 ; IG IX,1² 3:708). Il s'agit probablement de son frère.

 

Si Phainéas Nikéa est bien le hieromnemon de 178, l'hypothèse de Louis Robert se confirme. L'inscription daterait bien de la guerre civile d'Hypata en 175 av. J.-C..