APULEE, les Métamorphoses

Mosaïque byzantine, Ve siècle, Constantinople (Wikipédia)
Mosaïque byzantine, Ve siècle, Constantinople (Wikipédia)

Les Métamorphoses d'Apulée ont été souvent utilisé comme document pour l'histoire économique et sociale du monde romain. Mais la difficulté à distinguer dans le récit les apports d’Apulée par rapport à l’original, la volonté de divertir le lecteur, invitent à la prudence. Toutefois, le texte apuléien peut être confirmé au cas par cas par des sources primaires, comme l’illustrent par exemple, les scènes d’auberge au livre I et deux cas d’abus de pouvoir au livre IX.

"Les Métamorphoses d’Apulée constituent, avec le Satiricon de Pétrone, l’un des seuls textes de l’Antiquité romaine qui puissent être considérés comme relevant du genre romanesque, ou à tout le moins de ses prémices. Également connu sous le titre L’Âne d’or, ce roman, ou, pour échapper à l’accusation d’anachronisme, ce récit en prose à caractère romanesque, a été rédigé en latin dans le courant du IIe siècle apr. J.‑C. par L. Apuleius, issu de l’élite municipale de Madaure, petite cité de la province d’Afrique." (Anne-Florence Baroni et Marie-Adeline Le Guennec, 2024)

L'action des deux premiers livres se situe à Hypata, dans une Grèce romanisée, comme en témoigne par exemple la perquisition de Lucius-âne par un légionnaire à la fin du livre IX.

 

Anne-Florence Baroni et Marie-Adeline Le Guennec, « Les Métamorphoses d’Apulée : entre mondes grec et romain, un document pour l’historien ? »Cahiers d’études italiennes [En ligne], 35 | 2022

 


Texte latin : 

  • Apulée. Les Métamorphoses. Tome I, livre I-III. Texte établi par D. S. Robertson et traduit par P. Valette, 1940, Paris. Coll. des Univ. de France publiée sous le patronage de l'Ass. G. Budé
  • Apulée. Les Métamorphoses. Tome II, livre IV-VI. Texte établi par D. S. Robertson et traduit par P. Valette, 1941, Paris. Coll. des Univ. de France publiée sous le patronage de l'Ass. G. Budé
  • Apulée. Les Métamorphoses. Tome III, livre VII-XI. Texte établi par D. S. Robertson et traduit par P. Valette, 1945, Paris. Coll. des Univ. de France publiée sous le patronage de l'Ass. G. Budé

Traduction française :  traduction de M. Nisard

 


Apulée Citant Hypata

lES METAMORPHOSES

[1, 5] Sed ut prius noritis cuiatis sim, qui sim: Aristomenes sum, Aegiensis; audite et quo quaestu me teneam: melle uel caseo et huiusce modi cauponarum mercibus per Thessaliam Aetoliam Boeotiam ultro citro discurrens. Comperto itaque Hypatae, quae ciuitas cunctae Thessaliae antepollet, caseum recens et sciti saporis admodum commodo pretio distrahi, festinus adcucurri id omne praestinaturus.

[1, 5] Mais il est bon aussi que vous sachiez qui je suis, quel est mon pays et ma profession. Je suis d'Égine. Je fais le commerce de miel d'Etna, fromages et autres denrées qui forment la consommation habituelle des auberges. La Thessalie, l'Étolie, la Béotie, sont le cercle de mes tournées; je les parcours en tout sens. Ayant donc appris qu'à Hypate, ville capitale de toute la Thessalie, il y avait un grand marché à faire sur des fromages nouveaux d'un goût exquis, je m'y dirigeai en toute hâte, bien résolu à acheter toute la partie.

 


[1,21] Is finis nobis et sermonis et itineris communis fuit. Nam comites uterque ad uillulam proximam laeuorsum abierunt.Ego uero quod primum ingressui stabulum conspicatus sum, accessi et de quadam anu caupona ilico percontor: "Estne", inquam, "Hypata haec ciuitas?" Adnuit."Nostine Milonem quendam e primoribus?" Adrisit et: "Vere", inquit, "primus istic perhibetur Milo, qui extra pomerium et urbem totam colit."

[1,21] Ici nous cessâmes de causer et de faire route ensemble. On voyait de là quelques habitations sur la gauche, et mes deux compagnons tournèrent de ce côté. Pour moi, je fis halte à la première auberge que je trouvai en entrant en ville; et m'adressant à l'hôtesse, qui n'était pas des plus jeunes, je lui fis quelques questions: Est-ce bien ici Hypate? - Oui. Connaissez-vous Milon, l'un des premiers de la ville? Elle partit d'un éclat de rire. Le premier sans contredit, reprit-elle; car il demeure au Pomerium, tout à fait en dehors des murs.

 


[4,8] Tunc inter eos unus, qui robore ceteros antistabat: "Nos quidem", inquit, "qui Milonis Hypatini domum fortiter expugnauimus. praeter tantam fortunae copiam, quam nostra uirtute nacti sumus, et incolumi numero castra nostra petiuimus et, si quid ad rem facit, octo pedibus auctiores remeauimus.

Au milieu du tumulte, l'un d'eux, qui surpassait en force tous les autres, s'écrie soudain: Nous sommes gaillardement entrés de vive force chez Milon d'Hypate; nous y avons bravement fait un butin considérable. Eh bien! nous voici de retour, tous sur nos pieds; et même, si cela vaut la peine de le dire, avec huit pieds de plus.

 


[7,1] "Quod ad domum Milonis Hypatini quam proxime diripuimus pertinet, discussa sollicitudine iam possumus esse securi. Postquam uos enim fortissimis uiribus cunctis ablatis castra nostra remeatis, immixtus ego turbelis popularium dolentique atque indignanti similis arbitrabar super inuestigatione facti cuius modi consilium caperetur et an et quatenus latrones placeret inquiri, renuntiaturus uobis, uti mandaueratis, omnia.

Tout va bien en ce qui concerne Milon, ce bourgeois d'Hypate que nous avons dernièrement dévalisé. Vous savez, braves compagnons, que je restai en arrière au moment où vous regagniez notre forteresse, après avoir fait chez lui maison nette. Je me mêlai donc aux groupes agités qui se formaient sur les lieux, faisant semblant tantôt de m'apitoyer, tantôt de m'indigner de l'aventure. Je voulais savoir comment on informerait sur notre exploit et quelle direction prendraient les recherches, le tout afin de vous en faire mon rapport, ainsi que vous me l'aviez prescrit.

 


[11,20] Et ecce superueniunt Hypata quos ibi reliqueram famulos, cum me Photis malis incapistrasset erroribus cognitis scilicet fabulis meis, nec non et equum quoque illum meum reducentes, quem diuerse distractum notae dorsualis agnitione recuperauerant.

 

En ce moment, arrivent de mon pays les serviteurs que j'y (NDA : à Hypata) avais laissés, lorsque la fatale méprise de Photis m'avait mis dans ce cruel embarras; j'eus bientôt reconnu mes gens, aussi bien que mon cheval, qu'ils me ramenaient. La bête avait passé dans plusieurs mains; mais on avait pu la réclamer, grâce à certaine marque qu'elle avait sur le dos.

 



Apulée Décrivant Hypata

Les metamorphoses

[1, 2] Thessaliam - nam et illic originis maternae nostrae fundamenta a Plutarcho illo inclito ac mox Sexto philosopho nepote eius prodita gloriam nobis faciunt - eam Thessaliam ex negotio petebam. Postquam ardua montium et lubrica uallium et roscida cespitum et glebosa camporum emensus emersi.

[1, 2] Certaines affaires m'appelaient en Thessalie, dont vous saurez que je suis originaire aussi; car je me glorifie d'une descendance maternelle, dont la souche n'est rien moins que l'illustre Plutarque et son neveu le philosophe Sextus. Je gagnais donc la Thessalie, tantôt gravissant les monts, tantôt plongeant dans les vallées, et foulant tour à tour l'herbe des prairies et les sillons des guérets.

 


[1, 24] His actis et rebus meis in illo cubiculo conditis pergens ipse ad balneas, ut prius aliquid nobis cibatui prospicerem, forum cupidinis peto, inque eo piscatum opiparem expositum uideo et percontato pretio, quod centum nummis indicaret, aspernatus uiginti denariis praestinaui. Inde me commodum egredientem eontinatur Pythias condiscipulus apud Athenas Atticas meus, qui me post aliquantum multum temporis amanter agnitum inuadit amplexusque ac comiter deosculatus.

[1, 24] Cela fait, et mon bagage étant rangé dans ma chambre, je sortis pour me rendre aux bains. Mais je passai d'abord au marché, afin de me pourvoir d'un souper. Il était splendidement approvisionné en poisson. Je marchandai; et ce qu'on m'avait fait cent écus, je l'eus pour vingt deniers. Je sortais de ce lieu, quand je fis rencontre d'un certain Pythias qui avait été mon condisciple à Athènes. Il mit quelque temps à me reconnaître; puis me sautant au cou, il m'embrassa tendrement.

 


[1, 25] Quo audito statim adrepta dextera postliminio me in forum cupidinis reducens: "Et a quo", inquit, "istorum nugamenta haec comparasti?" Demonstro seniculum: in angulo sedebat. Quem confestim pro aedilitatis imperio uoce asperrima increpans: "Iam iam", inquit, "nec amicis quidem nostris uel omnino ullis hospitibus parcitis, quod tam magnis pretiis pisces friuolos indicatis et florem Thessalicae regionis ad instar solitudinis et scopuli edulium caritate deducitis? Sed non impune. Iam enim faxo scias, quem ad modum sub meo magisterio mali debeant coerceri", et profusa in medium sportula iubet officialem suum insuper pisces inscendere ac pedibus suis totos obterere.

[I, 25] À ces mots, il me prend brusquement par la main; et me ramenant dans le marché: Et à qui de ces gens-là as-tu acheté cette belle marchandise? Je montrai du doigt un petit vieillard assis dans un coin. Mon homme alors les apostrophant du haut de son édilité: Est-ce ainsi, vous autres, que vous rançonnez nos amis? Et des étrangers encore! Vendre à ce prix de pareil fretin! À force de surfaire, vous affamerez cette ville qui est la fleur de toute la Thessalie, et vous nous la rendrez déserte comme un rocher. Mais prenez-y garde. Et toi, je vais t'apprendre comment les fripons sont menés sous mon administration. Répandant alors mon poisson sur le pavé, il ordonne à l'officier qui le suivait de marcher dessus, et d'écraser le tout sous ses pieds.

 


[2, 1] Vt primum nocte discussa sol nouus diem fecit et somno simul emersus et lectulo, anxius alioquin et nimis cupidus cognoscendi quae rara miraque sunt, reputansque me media Thessaliae loca tenere, qua artis magicae natiua cantamina totius orbis consono ore celebrentur, fabulamque illam optimi comitis Aristomenis de situ ciuitatis huius exortam, suspensus alioquin et uoto simul et studio, curiose singula considerabam. Nec fuit in illa ciuitate quod aspiciens id esse crederem, quod esset, sed omnia prorsus ferali murmure in aliam effigiem translata, ut et lapides, quos offenderem, de homine duratos et aues, quas audirem, indidem plumatas et arbores, quae pomerium ambirent, similiter foliatas et fontanos latices de corporibus humanis fluxos crederem; iam statuas et imagines incessuras, parietes locuturos, boues et id genus pecua dicturas praesagium, de ipso uero caelo et iubaris orbe subito uenturum oraculum.

[2, 1] Dès que la nuit se fut dissipée et qu'un nouveau soleil eut ramené le jour, je dis adieu au sommeil et au lit, avec cette curiosité fébrile d'un amateur du merveilleux. Enfin, me disais-je, me voici dans cette Thessalie, terre natale de l'art magique, et qui fait tant de bruit dans le monde par ses prodiges. C'est donc ici que s'est passé tout ce que ce bon Aristomène nous a conté en route! J'éprouvais je ne sais quel désir vague et inquiet, et je promenais de toutes parts mes regards scrutateurs. Nul objet ne se présentait à ma vue, que je ne le prisse pour autre que ce qu'il était. Tout me semblait métamorphose. Dans les pierres, les oiseaux, les arbres du Pomérium, les fontaines de la ville, je voyais autant de créatures humaines, transmuées par la vertu des fatales paroles. Le charme avait pétrifié les uns, emplumé les autres, commandé à ceux-ci de pousser des feuilles, à ceux-là de faire jaillir l'eau du fond de leurs veines. Il me semblait que des statues allaient marcher, les murailles parler, le bétail prédire, et que, de la voûte des cieux, le soleil lui-même allait prononcer des oracles.

 


[2, 19, 1] Frequens ibi numerus epulonum et utpote apud primatem feminam flos ipse ciuitatis. Mensae opipares citro et ebore nitentes, lecti aureis uestibus intecti, ampli calices uariae quidem gratiae, sed pretiositatis unius. Hic uitrum fabre sigillatum, ibi crustallum inpunctum, argentum alibi clarum et aurum fulgurans et sucinum mire cauatum et lapides ut bibas et quicquid fieri non potest ibi est. Diribitores plusculi splendide amicti fercula copiosa scitule subministrare, pueri calamistrati pulchre indusiati gemmas formatas in pocula uini uetusti frequenter offerre. Iam inlatis luminibus epularis sermo percrebuit, iam risus adfluens et ioci liberales et cauillus hinc inde. 

[2, 19, 1] J'y trouvai grande réunion, et, comme je m'y attendais, d'après le rang de la dame du logis, la meilleure compagnie de la ville. Les lits, d'une magnificence extrême, étaient en bois de citronnier avec des ornements d'ivoire, et recouverts d'étoffes brodées d'or. Sur la table de larges coupes, toutes diverses de forme et de beauté, toutes d'un prix inestimable. Ici le verre artistement ciselé, là le cristal taillé à facettes. L'argent brillait, l'or resplendissait. Il s'y trouvait jusqu'à des morceaux d'ambre cristallisé, que l'art avait creusé pour servir de vase à boire; enfin un luxe inimaginable. Plusieurs écuyers tranchants, magnifiquement vêtus, découpaient les mets sans nombre que de jeunes filles servaient avec toute la grâce possible. De jeunes garçons qu'on avait frisés au fer, et élégamment drapés, ne cessaient de verser aux convives un vin vieux dans des vases faits de pierres précieuses. Bientôt l'arrivée des flambeaux donne l'essor aux propos de table; le rire se communique, les bons mots circulent, et, parfois, l'épigramme étincelle.

 


[2, 19, 5] Tum infit ad me Byrrhena: "Quam commode uersaris in nostra patria? Quod sciam, templis et lauacris et ceteris operibus longe cunctas ciuitates antecellimus, utensilium praeterea pollemus adfatim. Quod sciam, templis et lauacris et ceteris operibus longe cunctas ciuitates antecellimus, utensilium praeterea pollemus adfatim. Certe libertas otiosa, et negotioso quidem aduenae Romana frequentia, modesto uero hospiti quies uillatica : omni denique prouinciae uoluptarii secessus sumus.

[2, 19, 5]  Byrrhène alors m'adressa la parole: Que dites-vous de notre pays? Aucune ville, que je sache, ne possède rien de comparable à nos temples, à nos bains, à nos édifices publics en général. Et nous ne sommes pas moins bien pourvus des choses utiles: De ce que je sais, en matière de temples, de bains et du reste, nous l'emportons de loin sur toutes les cités ; en outre, nous sommes riches d'une profusion de choses utiles. En tout cas, (nous offrons) la liberté des loisirs, et certes pour un étranger occupé l'affluence de Rome, mais pour un hôte calme la tranquillité de la campagne ; bref nous sommes une retraite de plaisir  pour toute la province.

 


[2,20,1] Ad haec ego subiciens: "Vera memoras nec usquam gentium magis me liberum quam hic fuisse credidi. Sed oppido formido caeeas et ineuitabiles latebras magicae disciplinae. Nam ne mortuorum quidem sepulchra tuta dicuntur, sed ex bustis et rogis reliquiae quaedam et cadauerum praesegmina ad exitiabiles uiuentium fortunas petuntur, et cantatrices anus in ipso momento choroagi funebris praepeti celeritate alienam sepulturam anteuortunt."

[2, 20, 1] Rien n'est plus vrai, repris-je; nulle part je ne me suis senti plus à l'aise. Mais il y a la magie, dont je redoute singulièrement les ténébreuses embûches et les pièges inévitables. Le tombeau même, dit-on, ne met pas à l'abri de ses atteintes. Elle dispute aux bûchers, aux sépulcres, les dépouilles des morts; et des lambeaux, arrachés aux cadavres, deviennent les instruments de ses funestes pratiques contre les vivants. On parle de vieilles sorcières qui, au milieu même d'une pompe funèbre, savent escamoter un mort et frauder la sépulture.


[2,31,1] Cum primum Thelyphron hanc fabulam posuit, conpotores uino madidi rursum cachinnum integrant. Dumque bibere solita Risui postulant, sic ad me Byrrhena: "Sollemnis", inquit, "dies a primis cunabulis huius urbis conditus crastinus aduenit, quo die soli mortalium sanctissimum deum Risum hilaro atque gaudiali ritu propitiamus.

[2, 31, 1] À ce récit de Télyphron, les convives, que le vin avait mis en gaieté, se prennent à rire de plus belle. Et, pendant que quelques bons vivants réclament les libations d'usage au dieu du Rire, Byrrhène se tourne vers moi : Demain, dit-elle, est l'anniversaire de la fondation de notre ville, jour consacré à l'auguste dieu du Rire. C'est un culte observé par nous seuls sur la terre, et que nous célébrons par les plus joyeuses cérémonies.

 

 


[3,2,5] Tandem pererratis plateis omnibus et in modum eorum, quibus lustralibus piamentis minas portentorum hostiis circumforaneis expiant, circumductus angulatim, forum eiusque tribunal adstituor. Iamque sublimo suggestu magistratibus residentibus, iam praecone publico silentium clamante, repente cuncti consona uoce flagitant, propter coetus multitudinem, quae pressurae nimia densitate periclitaretur, iudicium tantum theatro redderetur. Nec mora, cum passim populus procurrens caueae conseptum mira celeritate conpleuit; aditus etiam et tectum omne fartim stipauerant, plerique columnis implexi, alii statuis dependuli, nonnulli per fenestras et lacunaria semiconspicui, miro tamen omnes studio uisendi pericula salutis neclegebant. Tunc me per proscaenium medium uelut quandam uictimam publica ministeria producunt et orchestrae mediae sistunt.

[3,2,5] Après qu'on m'eut fait faire le tour de toutes les places de la ville, comme à ces victimes que promène une procession lustrale pour conjurer quelque fléau, nous arrivons enfin au lieu ou se rendait la justice, et je me trouve en face du tribunal. Déjà les magistrats avaient pris place sur l'estrade, et l'huissier commandait le silence, quand, tout d'une voix, l'assemblée se récrie contre les dangers d'une agglomération si considérable dans un si étroit espace; et l'on demande que, en raison de son importance, la cause soit jugée au théâtre. La foule aussitôt prend les devants, et, en un clin d’œil, l'enceinte du théâtre est encombrée. Les couloirs, les combles même sont envahis. Quelques spectateurs embrassent les piliers, d'autres se suspendent aux statues. Il n'y a pas jusqu'aux fenêtres et aux lucarnes où quelque curieux ne se montre jusqu'à mi-corps. L'intérêt de la scène étouffait tout sentiment de danger.  J'avance toujours du pas d'une victime, entouré de mes gardes, qui me font traverser le Proscenium, et me placent au milieu de l'orchestre.

 


Jean Colin a montré la toute-puissance du peuple dans les cités grecques de l'époque impériale, la populace participant à l'envoi au supplice des chrétiens notamment (επιδοησις). Ainsi, Lucius se retrouve-t-il au théâtre devant le peuple de la cité libre d'Hypata. Les villes libres d'Orient gréco-romain, comme Hypata, possédaient encore l'autonomie judiciaire criminelle.

 

Colin Jean. Les exigences de la populace païenne dans la littérature grecque chrétienne du IIe siècle. In: Revue des Études Grecques, tome 78, fascicule 369-370, Janvier-juin 1965. pp. 330-335.

Colin Jean. Apulee en Thessalie : fiction ou verite ? Latomus 24 (1965), 330-45

 

 [3,11,1] Ecce ilico etiam ipsi magistratus cum suis insignibus domum nostram ingressi talibus me monitis delenire gestiunt: "Neque tuae dignitatis uel etiam prosapiae tuorum ignari sumus, Luci domine; nam et prouinciam totam inclitae uestrae familiae nobilitas conplectitur. Ac ne istud, quod uehementer ingemescis, contumeliae causa perpessus es. Omnem itaque de tuo pectore praesentem tristitudinem mitte et angorem animi depelle. Nam lusus iste, quem publice gratissimo deo Risui per annua reuerticula sollemniter celebramus, semper commenti nouitate florescit. Iste deus auctorem et actorem suum propitius ubique comitabitur amanter nec umquam patietur, ut ex animo doleas, sed frontem tuam serena uenustate laetabit adsidue. At tibi ciuitas omnis pro ista gratia honores egregios obtulit; nam et patronum scripsit et ut in aere stet imago tua decreuit." Ad haec dicta sermonis uicem refero: "Tibi quidem", inquam, "splendidissima et unica Thessaliae ciuitas, honorum talium parem gratiam memini, uerum statuas et imagines dignioribus meique maioribus reseruare suadeo."

[3,11,1] Tout à coup les magistrats eux-mêmes se présentent, et les voilà qui m'adressent une réparation en ces termes: Seigneur Lucius, nous connaissions votre mérite personnel et votre noble maison. L'illustration de votre famille est notoire dans la province.  Croyez qu'aucune pensée d'insulte n'a présidé à la scène de tout à l'heure; que votre coeur n'en conserve aucun ressentiment: nous célébrons aujourd'hui la fête du dieu du Rire; et c'est parmi nous à qui s'ingéniera pour rajeunir cet anniversaire. Le dieu, qui vous a été si redevable en ce jour, veut que partout sa propice influence vous accompagne, et que votre heureuse physionomie soit en tous lieux un signal d'hilarité. La ville, du reste, vous a par acclamation décerné les plus grands honneurs. Elle veut que votre nom soit inscrit au nombre de ses grands personnages, et que le bronze lui conserve le souvenir de vos traits.  À ce discours, je répondis: Je reconnais, comme je le dois, l'immense honneur que me fait une ville, la fleur et la perle de la Thessalie. Mais quant à des images, à des statues, réservez un tel témoignage pour qui les mérite mieux que moi.

 


[3,28,1] Nec mora, cum ui patefactis aedibus globus latronum inuadit omnia et singula domus membra cingit armata factio et auxiliis hinc inde conuolantibus obsistit discursus hostilis. Cuncti gladiis et facibus instructi noctem illuminant, coruscat in modum ortiui solis ignis et mucro. Tunc horreum quoddam satis ualidis claustris obseptum obseratumque, quod mediis aedibus constitutum gazis Milonis fuerat refertum, securibus ualidis adgressi diffindunt. Quo passim recluso totas opes uehunt raptimque constrictis sarcinis singuli partiuntur. Sed gestaminum modus numerum gerulorum excedit. Tunc opulentiae nimiae nimio ad extremas incitas deducti nos duos asinos et equum meum productos e stabulo, quantum potest, grauioribus sarcinis onerant et domo iam uacua minantes baculis exigunt unoque de sociis ad speculandum, qui de facinoris inquisitione nuntiaret, relicto nos crebra tundentes per auia montium ducunt concitos.

[3,28,1] Bientôt l'on force l'entrée; un gros de bandits envahit tout l'intérieur, tandis qu'un autre parti armé jusqu'aux dents garde toutes les issues. De divers côtés, les voisins arrivent au secours; mais les brigands leur font face et les repoussent. Les torches se reflétant sur les glaives nus illuminent les ténèbres, et le double éclat du fer et de la flamme produit l'effet du soleil levant. Au centre de la maison se trouvait une espèce de magasin, bien défendu par toute espèce de fermeture et renfermant les trésors de Milon. Ils en enfoncent la porte à grands coups de hache, s'emparent de tout le butin, l'empaquettent à la hâte, et s'en distribuent la charge entre eux. Mais il se trouve plus de fardeaux que de porteurs: dans l'embarras de tant de richesses et réduits aux expédients, ils me tirent de l'écurie avec l'autre âne et mon cheval, nous chargent impitoyablement de ce qu'il y a de plus lourd dans le bagage, et, le bâton levé, nous poussent hors du logis, après y avoir fait maison nette. Un des leurs cependant resta seul en arrière, avec charge d'observer, et de faire son rapport de ce qui se passerait sur les lieux. Les autres, à force de coups, nous font gagner grand train une passe écartée de la montagne.