Xénophon, l'anabase

 

Xénophon est un historien, philosophe et chef militaire de la Grèce antique né à Athènes vers 430 av. J.-C. et mort vers 355 av. J.-C. Outre l’Anabase et la Cyropédie, il a écrit une suite à l’Histoire de la guerre du Péloponnèse de Thucydide intitulée Les Helléniques. L'Anabase raconte les aventures des Dix-Mille, un corps expéditionnaire de 10 000 mercenaires grecs engagés par Cyrus le Jeune dans sa lutte contre son frère Artaxerxès II, roi de Perse, puis leur retraite vers l'Hellespont, en rejoignant le Pont-Euxin à travers le haut pays d'Arménie jusqu'à la région du Pont.

 


Texte grec : Hodoi Elektronikai

Traduction française : personnelle


Lors du séjour de l'armée de Cyrus en Paphlagonie, les relations se détériorent avec les locaux, et leur chef envoie des ambassadeurs chez les Macédoniens pour résoudre le conflit. Cyrus leur offre alors un somptueux banquet au cours duquel les soldats présentent les danses de leur pays respectif. Après les Thraces, c'est au tour des Ainianes.

 

[6,1] (...) μετὰ τοῦτο Αἰνιᾶνες καὶ Μάγνητες ἀνέστησαν, οἳ ὠρχοῦντο τὴν καρπαίαν καλουμένην ἐν τοῖς ὅπλοις. ὁ δὲ τρόπος τῆς ὀρχήσεως ἦν, ὁ μὲν παραθέμενος τὰ ὅπλα σπείρει καὶ ζευγηλατεῖ, πυκνὰ δὲ στρεφόμενος ὡς φοβούμενος, λῃστὴς δὲ προσέρχεται· ὁ δ´ ἐπειδὰν προΐδηται, ἀπαντᾷ ἁρπάσας τὰ ὅπλα καὶ μάχεται πρὸ τοῦ ζεύγους· καὶ οὗτοι ταῦτ´ ἐποίουν ἐν ῥυθμῷ πρὸς τὸν αὐλόν· καὶ τέλος ὁ λῃστὴς δήσας τὸν ἄνδρα καὶ τὸ ζεῦγος ἀπάγει· ἐνίοτε δὲ καὶ ὁ ζευγηλάτης τὸν λῃστήν· εἶτα παρὰ τοὺς βοῦς ζεύξας ὀπίσω τὼ χεῖρε δεδεμένον ἐλαύνει. (...)

 

[6,1] (...) Après cela, les Ainianes et les Magnètes se levèrent : ils exécutèrent en arme un danse appelée la "Karpaïe" [NDA : "danse des récoltes"]. Voici le déroulement de la danse : le premier (danseur), ayant déposé ses armes, sème et conduit ses bœufs, se retournant fréquemment comme s'il avait peur, tandis qu'un brigand s'approche. Dès qu'il l’aperçoit, il s'empare de ses armes et se bat pour défendre ses bœufs. Ces deux (danseurs) font cela en rythme au son de la flûte. Et à la fin, le brigand ayant attaché l'homme emmène les bœufs. Quelque fois, c'est le laboureur qui gagne contre le brigand, puis l'ayant attelé aux bœufs les mains liées derrière (le dos), il le fait avancer !

 


Coupe à bande attique à figures noires, vers 530 av. J.-C. (musée du Louvres)
Coupe à bande attique à figures noires, vers 530 av. J.-C. (musée du Louvres)

 

Ainianes et Magnètes, deux peuples thessaliens, partagent ici la même culture.

 

Xénophon rapporte deux fins possibles à la danse :

  • Le brigand l'emporte : une fin plutôt dramatique et moralisante

Voici ce qu'en disait justement l'Encyclopédie :

 

L’Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers est une encyclopédie française, éditée de 1751 à 1772 sous la direction de Denis Diderot et, partiellement, de Jean Le Rond d'Alembert.

 

CARPÉE, s. m. (Hist. anc.) espece de pantomime ancienne, que les Athéniens & les Magnésiens peuples de Thessalie, avoient coûtume de danser de la maniere suivante. Un des danseurs mettoit bas ses armes, sembloit labourer & semer, regardoit souvent derriere lui, comme un homme inquiet. Un second danseur imitoit l'action d'un voleur qui s'approche. Le premier reprenoit aussi - tôt ses armes, & il y avoit entr'eux un combat autour de la charrue & des boeufs: ce combat se livroit en cadence & au son de la flûte. Le voleur remportoit la victoire; lioit le laboureur, & emmenoit les boeufs; quelquefois le laboureur étoit victorieux. Rien n'a plus de rapport avec les ballets que le sieur Dehesse imagine avec tant d'esprit, & qui sont si bien exécutés par nos comédiens Italiens.

On dit que cette danse sut instituée pour accoûtumer les paysans à se défendre contre les incursions des brigands.

 

Cette danse aurait donc eu un rôle éducatif. Les Ainianes, peuples montagnard, a toujours dû être confronté aux voleurs de grand chemin comme en témoigne l'épisode des brigands dans les Métamorphoses d'Apulée (de la fin du livre III au livre VII), qui trouve son écho dans une inscription.

  • Le laboureur l'emporte : une fin plutôt comique

Lorsque le laboureur victorieux attelle le voleur à ses bœufs et le fait avancer, on tombe ici carrément dans la pantomime comique et on imagine alors aisément les rires du public. Maxime de Tyr d'ailleurs trouvait ce divertissement peu correct et inapproprié au banquet dont les participants devaient faire preuve de sérieux et de retenu. 

Dans une pièce de Kyogen (comédie japonaise classique), "Kaki Yamabushi", "l'ascète voleur de Kaki", on retrouve ainsi le voleur de kaki tourné en ridicule et vaincu par le propriétaire de l'arbre.

 

Une autre danse en arme bien connue dans la Grèce Antique, la Pyrrhique athénienne
Une autre danse en arme bien connue dans la Grèce Antique, la Pyrrhique athénienne