Une institution Etolienne : le conseil des apoclètes

 

En analysant le rôle d'Hypata pendant la guerre antiochique (conflit entre 192 et 188 av. J.-C. opposant la république romaine au roi séleucide Antiochos III), j'ai trouvé la mention chez Polybe d'une institution de la ligue Étolienne un peu particulière, le conseil des apoclètes, qui joue un rôle important dans la guerre. Aucune allusion à ce statut dans des inscriptions grecques ou latines, il faut donc s'en remettre au texte de Polybe et à l'écho qu'en fait Tite-Live, pour essayer de cerner les contours de cet organe.

 

Intéressons-nous d'abord à l'étymologie du terme. Il est composé de deux mots, ἀπο, "en venant de", et κλήτος, "convoqué, choisi". Un apoclète est donc une personne qui a été choisie, sélectionnée. Tite-Live traduit le terme grec en latin par consilium delectorum, c'est à dire une assemblée de personnes choisies :

 

[36, 28]  (…) in consilio delectorum, quos apocletos uocant (…)

[36, 28]  (…) dans un conseil formé des élus, que l'on appelait apoclètes (…)

 

Polybe mentionne ce conseil pour la première fois au livre IV des Histoires. L'auteur raconte le déclenchement de la guerre des Alliés, en 220 av. J.-C.. Selon lui, la responsabilité en revient aux Etoliens, menés par Scopas, qui déclare illégalement la guerre, sans passer par les institutions de la ligue. Il distingue alors deux types d'assemblées :  l'assemblée des Étoliens et celle des apoclètes.

 

[4,5] (…) τοιαύτην ὁρμὴν παρέστησε τῷ Σκόπᾳ καὶ τοῖς τούτου φίλοις ὥστ´ οὔτε κοινὴν τῶν Αἰτωλῶν προσδεξάμενοι σύνοδον οὔτε τοῖς ἀποκλήτοις συμμεταδόντες, οὐδὲ μὴν ἄλλο τῶν καθηκόντων οὐδὲν πράξαντες, κατὰ δὲ τὰς αὑτῶν ὁρμὰς καὶ κρίσεις διαλαβόντες ἅμα Μεσσηνίοις, Ἠπειρώταις, Ἀχαιοῖς, Ἀκαρνᾶσι, Μακεδόσι πόλεμον ἐξήνεγκαν. .

[4,5] (…) il (Dorimachos) enflamma d'une telle ardeur Scopas et ses amis que, sans attendre la réunion de l'assemblée, sans consulter les apoclètes, sans observer aucune des formes prescrites, ils n'écoutèrent que leur passion et, de leur propre autorité, engagèrent les hostilités à la fois contre les Messéniens, les Épirotes, les Achéens, les Acarnaniens et les Macédoniens.

 

Carte provenant de l'article "Guerre antiochique" de wikipédia
Carte provenant de l'article "Guerre antiochique" de wikipédia

 

On ignore le nombre exacte d'apoclètes, mais on peut être sûr qu'il était supérieur à trente. En effet, en 192 av. J.-C., lorsqu'Antiochus vient faire la guerre au côté des Étoliens contre les Romains, les Etoliens choisissent trente apoclètes pour lui servir de conseillers.

 

[20,1] Καὶ αὖθις Πολύβιος· Τριάκοντα τῶν ἀποκλήτων προεχειρίσαντο τοὺς συνεδρεύσοντας μετὰ τοῦ βασιλέως. Καὶ αὖθις· Ὁ δὲ συνῆγε τοὺς ἀποκλήτους καὶ διαβούλιον ἀνεδίδου περὶ τῶν ἐνεστώτων.

[20,1] Les Étoliens choisirent trente de leurs apoclètes pour tenir conseil avec lui. Le roi convoqua ces apoclètes le lendemain et délibéra avec eux sur l'état des affaires.

 

On trouve le passage correspondant au livre XXV de l'Histoire Romaine de Tite-Live, même s'il n'utilise pas ici le terme d'apocletes mais celui de principes.

 

[35,45] (…) triginta principes cum quibus, si qua uellet, consultaret delegerunt.

[35,45] (…) on désigna trente des premiers citoyens pour lui (Antiochus) servir de conseil au besoin.

 

Pendant la guerre antiochique (nous sommes en 191 av. J.-C.), les Etoliens vaincus doivent accepter les conditions de paix imposées par les Romains. Pour accélérer les négociations, les Athéniens leur envoient une ambassade dirigée par Echédémos, qui s'adresse alors aux apoclètes. Ce sont eux qui détiennent la véritable autorité et qui pourront infléchir le cours de la guerre.

 

[21,3] Οὗτοι μὲν οὖν ἐπανῄεσαν βουλευσόμενοι περὶ τῶν προειρημένων· οἱ δὲ περὶ τὸν Ἐχέδημον συμμίξαντες τοῖς ἀποκλήτοις ἐβουλεύοντο περὶ τῶν προειρημένων.

[21,3] Les premiers (les députés Étoliens) retournèrent auprès de leurs concitoyens pour délibérer ; tandis qu'Echédémos, s'étant réuni avec les apoclètes, tint conseil.

 

Les apoclètes sont donc des personnages importants, dont Tite-Live souligne également la sacralité.

 

[35,34] (…) per apocletos autem - ita uocant sanctius consilium : ex delectis constat uiris - id agitabant quonam modo in Graecia res nouarentur.

[35,34] (…) par l'entremise de leurs apoclètes (c'est le nom d'un conseil très sacré, composé de personnages choisis), tous les moyens d'exciter quelque bouleversement dans la Grèce.

 

 Résumons ce que nous ont appris Polybe et Tite-Live sur ce qu'étaient les apoclètes

  • une assemblée de premiers citoyens Étoliens, de plus de trente membres.
  • des personnes choisies, élues pour leur mérite (et non tirées au sort).
  • un conseil sacré, qu'il convient de consulter avant toute décision politique d'importance (l'attitude de Scopas en 220 av. J.-C. tient donc du sacrilège).

Si l'on compare maintenant cette institution avec les institutions Athéniennes, par exemple, je dirais que le conseil des apoclètes constitue une sorte d'Aréopage des Étoliens. Voici comment Aristote définit le haut conseil athénien dans le texte de La Constitution d'Athènes.

 

[3] ἡ δὲ τῶν Ἀρεοπαγιτῶν βουλὴ τὴν μὲν τάξιν εἶχε τοῦ διατηρεῖν τοὺς νόμους, διῴκει δὲ τὰ πλεῖστα καὶ τὰ μέγιστα τῶν ἐν τῇ πόλει, καὶ κολάζουσα καὶ ζημιοῦσα πάντας τοὺς ἀκοσμοῦντας κυρίως. ἡ γὰρ αἵρεσις τῶν ἀρχόντων ἀριστίνδην καὶ πλουτίνδην ἦν, ἐξ ὧν οἱ Ἀρεοπαγῖται καθίσταντο. διὸ καὶ μόνη τῶν ἀρχῶν αὕτη μεμένηκε διὰ βίου καὶ νῦν.

[3] Quant à l'Aréopage, il devait veiller à la conservation des lois. Il avait dans l'État les pouvoirs les plus étendus et l'autorité la plus haute, disposant du droit souverain d'infliger des châtiments ou des amendes aux auteurs de tout désordre. Les Aréopagites se recrutaient parmi les archontes, et ceux-ci avaient été pris dans les familles nobles et riches. Aussi cette charge est-elle la seule qui soit restée viagère : elle l'est encore.

 

Même si nous avons pu à peu près définir la fonction et l'importance du conseil des apoclètes dans la ligue Étolienne, de nombreux éléments restent obscurs : comment et pour combien de temps étaient élus ses membres ? Quelle était sa fonction en période de paix ? Nous ne pouvons que supposer par comparaison.