Inscription de l'église Saint-Donat à Zadar (Croatie)

Aujourd'hui, je vous propose un nouvel article ... sans aucun rapport avec Hypata !

Un membre de ma famille voyageant en Croatie m'a envoyé la photo d'une inscription romaine que je me suis amusée à traduire. Comme c'était intéressant, j'en ai fait un petit article que je poste ici.

 

Ayant fait parvenir la photo de cette inscription et mes interprétations à un professeur de l'université d'Heidelberg en charge de l'Epigraphic Database Heidelberg, certains éléments que j'ignorais m'ont été révélés et j'apporte des corrections à mon article, qui apparaîtront en rouge.

 

Emplacement de la pierre :

Cette pierre a été réutilisée dans la construction de l'église Saint-Donat à Zadar en Croatie (ancienne Dalmatie). Elle  a été posée à l'envers à la base d'un mur.

D'après Wikipédia : "L'église Saint-Donat est une ancienne église catholique de style préroman à plan circulaire, commencée au IXe siècle. Aujourd'hui désacralisée, elle est utilisée comme salle de spectacles pour des concerts de musique sacrée et médiévale. Son nom se réfère à saint Donat de Zadar, qui commença la construction de cette église au IXe siècle. L'église a été construite sur les fondations du forum romain et ses pierres ont été réutilisées. Consacrée à l'origine à la sainte Trinité, elle fut rebaptisée au XVe siècle du nom de Saint-Donat."

 

Voici la photo que l'on m'a faite parvenir :

Et voici la photo que j'ai retravaillée (rotation, contraste, négatif) :

Lecture de la pierre :

IOVI           AVGVSTO

APPVLEIA MF QVINTA

SVOET LTURPILIBROCCH_

LICINIANIFILIINOMINED_ _

 

Petite modification de la dernière ligne :

LICINIANIFILIINOMINET_ _

 

Jovi (et) Augusto, Appuleia M(arci) f(ilia) Quinta, suo et L(ucii) Turpili Brocch(i) Luciniani filii nomine, d(at, donat, dedicat).

 

Correction au début et à la fin :

Jovi Augusto, Appuleia M(arci) f(ilia) Quinta, suo et L(ucii) Turpili Brocch(i) Luciniani filii nomine, t(estamento poni iussit).

 

La fin de l'inscription se comprend par analogie à une autre inscription quasi-similaire dédicacée non pas à Jupiter, mais à Junon.

https://edh-www.adw.uni-heidelberg.de/edh/inschrift/HD060135

 

Traduction et commentaire

« A Jupiter et à Auguste, Appuleia Quinta, fille de Marcus, a fait un don et cette dédicace, en son nom et en celui de son fils Lucius Turpilius Brocchus. »

 

« Au majestueux Jupiter, Appuleia Quinta, fille de Marcus, a ordonné par testament d'ériger ce monument, en son nom et celui de son fils Lucius Turpilius Brocchus. »

 

Il s'agit d'une inscription votive, d'une certaine Appuleia Quinta, sûrement une citoyenne de la colonie romaine de Iader, fondée au Ier siècle av. J.-C. par Octavien (le futur empereur Auguste), devenue Zadar aujourd'hui. L'inscription est de bonne facture, ce qui indique que nous avons affaire à une riche citoyenne. D'autant que celle-ci en avait fait ériger une autre en l'honneur de Junon. Il y avait donc deux stèles, qui ont pu servir de bases à des statues. 

L'inscription et le don d'argent, qui l'a accompagné, sont fait à Jupiter et à Auguste, c'est à dire l'empereur. On ignore de quel empereur il s'agit, mais ce type de dédicace semble avoir disparu après Commode.

Augusto qualifie Jovi. L'inscription est donc dédiée à Jupiter seul.

Je daterais donc peut-être cette inscription du Ier siècle.

L'inscription semble en effet dater du Ier siècle ou du début du IIe siècle, par la forme arrondie des lettres. 

 

La femme est issue de la famille bien connue des Appuleii, et son mari, avec qui elle a eu le fils cité dans l'inscription, de la famille moins illustre des Turpilii. Son surnom, Quinta, signifie qu'elle était le cinquième enfant de la famille. Celui de son fils, Brocchus, signifie « à la bouche proéminente ». Sûrement une malheureuse dentition qui lui valut ce surnom.

 

Cette inscription est connue depuis le XVIIe siècle. On peut la trouver sur Internet ici.

Pourtant, on peut voir que la dédicace est différente. On a lu : « Iunoni Augustae » à la place de « Jovi Augusto », et à la fin, on a ajouté « test(amento) poni iuss(it) », là où j'ai lu «d(at, donat, dedicat) » . Serait-ce une autre pierre ? Y a t-il eu une erreur qui s'est répétée personne n'allant vérifier sur place ? Aurait-on retrouvé le morceau manquant (je n'ai rien trouvé) ? Mais même si c'était le cas, je ne crois pas qu'il y ait la place pour 12 lettres à la fin.

Il s'agissait donc d'une autre pierre comportant une inscription dédiée à Junon. L'inscription à Jupiter était ici sur Epigraphic Database Heidelberg.

Voici les deux inscriptions comme elles apparaissent dans le CIL :