Moschiôn Sittura d'Hypata

 

Le nom de Moschiôn Sittura réapparaît à plusieurs reprises dans des inscriptions grecques de la région. Moschiôn fils de Sittura, citoyen d'Hypata, fut impliqué dans la politique de sa cité et de celle du sanctuaire de Delphes, dans la deuxième moitié du IIe. siècle avant J.-C.. Les Romains, alors maîtres de la Grèce, orientent la politique Thessalienne.

 

Sources épigraphiques

 

Sur le site https://epigraphy.packhum.org/, je l'ai retrouvé dans dix inscriptions en grec, recensées dans quatre corpus épigraphiques :

  • deux inscriptions d'Athènes, dans IG II² (= Inscriptiones Graecae II et III: Inscriptiones Atticae Euclidis anno posteriores, 2nd edn., Parts I-III, ed. Johannes Kirchner. Berlin 1913-1940.)
  • deux inscriptions d'Hypata, dans IG IX,2 (= Inscriptiones Graecae, IX,2. Inscriptiones Thessaliae, ed. Otto Kern. Berlin 1908.)
  • trois inscriptions de Delphes, dans FD III (= Fouilles de Delphes, III. Épigraphie. Paris 1929.)
  • trois inscriptions de Delphes, dans CID 4 (= Corpus des inscriptions de Delphes. IV, Documents Amphictioniques, ed. François Lefévre, with contributions by Didier Laroche and Olivier Masson. Paris 2002.)

 

En vérité, les trois inscriptions de Delphes de CID 4 sont les mêmes que celles de FD III. De plus, les deux inscriptions athéniennes sont en fait la copie de deux de ces trois inscriptions de Delphes, le décret du sanctuaire concernant des citoyens d'Athènes. Quant aux deux inscriptions d'Hypata, elles sont connectées, puisqu'elles appartiennent à la même pierre. Il s'agit en vérité du même texte qui se répète.

 

Pour la datation des trois inscriptions de Delphes, je vous renvoie à l'article de G. Colin dans : Homolle Théophile. Inscriptions de Delphes. Actes amphictioniques relatifs à la fortune du temple d'Apollon et aux limites du territoire sacré. pp. 104-173. In: Bulletin de correspondance hellénique. Volume 27, 1903.

 

J'ai donc sélectionné les inscriptions suivantes, comme témoignages de l'existence de Moschiôn Sittura :

  • FD III 2:68 : Moschiôn Sittura apparaît ici comme membre de l'Amphictionie de Delphes, assemblée de représentants des peuples avoisinants, les Hiéromnèmones, qui avaient pour charge de délibérer des affaires du sanctuaire. Cette institution, disparue sous la domination de la ligue Etolienne, est rétablie par les Romains soucieux de faire revivre ce lieu sacré, tout en gardant un certain contrôle sur son conseil. Le décret date de l'archontat d'Aristôn Anaxandridou, en 130/29 av. J.-C. (Homolle, 1903) : l'Amphictionie accorde toute une série de privilèges à cinq artistes Athéniens du collège de Dionysos. Moschiôn Sittura et Echesthénos Aristoménou représentent les Aenianes au Conseil du sanctuaire. La troisième partie de l'inscription d'Athènes IG II² 1132 est la copie de ce décret.
  • FD III 2:69 : Il s'agit là encore d'un décret de l'Amphictionie de Delphes. L'affaire a été discutée sous l'archontat d'Eukleidos à Delphes, vraisemblablement lors de la réunion de l'automne 117 av. J.-C. (Homolle, 1903). On accorde à trois dramaturges Athéniens plusieurs privilèges, dont celui de la Chrysophoria, c'est à dire d'être couronné d'or. La copie du décret a été retrouvée à Athènes (IG II² 1134). Parmi les treize peuples présents au Conseil, les Aenianes sont représentés par Moschiôn Sittura, aux cotés de son collègue Nikophilos Aigidos.
  • FD III 4:277 : Cette énumération très complète du conseil Amphictionique fait partie d'un ensemble d'inscriptions gravées sur le "monument bilingue" de Delphes (de FD III 4:276 à FD III 4:283). les Aenianes sont représentés par deux hiéromnèmones citoyens d'Hypata, Moschiôn Sittura et Nikophilos Agiou, assistés chacun de deux agoratroi, dont on ne lit qu'un nom sur les quatre : Tolmaios Theromachou. Le collègue de Moschiôn, nommé ici « Agiou » est vraisemblablement le même qu'en FD III 2:69, où il apparaît sous le nom d' « Aigidos ». Il s'agit sûrement d'un erreur de gravure. La réunion, pendant laquelle le Conseil jugent plusieurs affaires délicates impliquant des citoyens de Delphes, a lieu six mois après celle de FD III 2:69, soit au printemps 116 av. J.-C. (Homolle, 1903).
  • IG IX,2 5a et 5b : Dans cette inscription d'Hypata, les Aenianes, peuples de Thessalie dont Hypata est la capitale, accordent la Proxénie (dignité honorifique accordée à un étranger), à un certain Stratios fils de Gnathios, citoyen de Corfou. Moschiôn Sittura apparaît deux fois dans le texte : dans la liste des cinq Aeniarches (chefs des Aenianes), et en tant que garant de la Proxénie en fin d'inscription. Moschiôn Sittura est alors Aeniarche pour la seconde fois. Le seul élément de datation que nous avons ici est la mention de la fonction d'Aeniarche, qui implique que cette inscription est postérieure à la réorganisation de la Thessalie par T. Quinctius Flaminius en 194 av. J.-C. (voir le texte de Tite-Live ci-après). Parmi les Aeniarches qui siègent aux côtés de Moschiôn Sittura, on remarque un certain Agios, fils de Tolmaios. S'agirait-il du fils de Tolmaios Theromachou ? Si c'est le cas, je serais tentée de dater cette inscription aux alentours de 116 av. J.-C., ou après.

 

Tite-Live, Histoire Romaine, livre XXXIV, 51 :

 

(…) pergit ire in Thessaliam, ubi non liberandae modo ciuitates erant sed ex omni conluuione et confusione in aliquam tolerabilem formam redigendae. Nec enim temporum modo uitiis ac uiolentia et licentia regia turbati erant sed inquieto etiam ingenio gentis nec comitia nec conuentum nec concilium ullum non per seditionem ac tumultum iam inde a principio ad nostram usque aetatem traducentis. A censu maxime et senatum et iudices legit potentioremque eam partem ciuitatium fecit cui salua et tranquilla omnia esse magis expediebat.

 

(...) il [= Flaminius] prit la route de Thessalie où il devait non seulement libérer des villes, mais il lui fallait aussi substituer au désordre et à l’anarchie une forme de gouvernement supportable. Les troubles de la Thessalie avaient pour cause, outre le malheur des temps et la violence ou le despotisme des rois, l’esprit remuant de la nation qui, dès les temps les plus anciens jusqu’à nos jours mêmes, n’a jamais su se réunir pour des comices, pour des assemblées générales ou particulières, sans qu’on ait vu éclater quelque sédition ou quelque désordre. Quinctius nomma des juges et un sénat, en prenant surtout la fortune pour base de ses choix, et il donna dans les villes la plus grande influence à cette partie des citoyens qui avaient le plus intérêt à maintenir l’ordre et la paix publique.

 

 

Vie et œuvre de Moschiôn Sittura d'Hypata

 

Au début du II siècle av. J.-C., Hypata est « libérée » du joug Etolien par les Romains, qui y rétablissent l'antique conseil des Aeniarches. Pour asseoir l'influence de Rome sur la politique Thessalienne, T. Quinctius Flaminius utilise les élites locales pro-romaines et reforme l'Amphictionie de Delphes. Re-diviser les peuples pour mieux régner : telle est la politique de Flaminius en Thessalie, après avoir essuyer tant de revers face aux résistances de la ligue Etolienne.

 

C'est dans ce contexte que naît Moschiôn Sittura. Si la datation des inscriptions le concernant est juste, Moschiôn a dû naître entre -175 et – 155. Il fut Aeniarche d'Hypata au moins deux fois et Hieromnémon de Delphes également deux fois. Il aurait entre la vingtaine et la quarantaine, lorsqu'il représente Hypata à l'Amphictionie de Delphes en -130. Treize ans plus tard, en -117, il est de nouveau élu pour la même charge. Il siège au conseil du sanctuaire en -116, alors que le sénat Romain soupçonnant des détournements de fond, envoie un magistrat procéder à une série de jugements. Moschiôn Sittura se range du côté de la majorité qui condamne plusieurs citoyens de Delphes à payer de lourdes amendes. Il aurait alors près de 40 ou 60 ans.

 

Son père ou son grand-père fut peut-être un de ces « citoyens qui avaient le plus intérêt à maintenir l’ordre et la paix publique » (Tite-Live, Histoire Romaine, XXXIV, 51), sur lesquels Flaminius s'appuya pour réorganiser la Thessalie. On connaît une autre inscription d'Hypata (IG IX,2 9) concernant un certain Sittura, fils de Peitholaos. Pourrait-il s'agir de son père ?

 

La vie de Moschiôn Sittura, qui peut être appréhendée grâce aux inscriptions analysées ci-dessus, offre un intéressant témoignage des relations entre Hypata, le sanctuaire de Delphes et les Romains au IIe siècle avant J.-C..

 

 

Le sanctuaire de Delphes, en sa beauté éternelle.